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  • 28/6/2009
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Crise financière: De l’euphorie à la panique: penser la crise financière

   Nous vous proposons ici l’analyse de la crise financière par un économiste français, animateur du courant de l’économie des conventions, selon laquelle le comportement économique des agents ne peut se penser qu’à travers sa participation au fonctionnement d’une institution. Il n’est donc pas surprenant de voir que l’interprétation qu’A.Orléan donne de la crise, tend à montrer que l’hypothèse d’autorégulation du marché financier est remise en cause par les récentes évolutions des marchés financiers mondiaux, en particulier sur les marchés immobiliers états-uniens.

De l’euphorie à la panique: penser la crise financière par André Orléan, Cepremap, Paris: Editions Rue d’Ulm, février 2009

salle de marché

Résumé:

   La crise des supprimes est dans son principe d’un très grand classicisme: une bulle immobilière associée à une bulle du crédit. L’histoire financière nous en a fourni de nombreux exemples. On sait qu’un tel mélange est explosif. Il conduit à des crises bancaires majeures. Quel mécanisme est à l’origine de cette double bulle? Comment est-il possible qu’une configuration de ce type se reproduise avec une telle systématicité alors même que les économistes ont souligné à maintes reprises son extrême toxicité?

   L’analyse ici proposée met l’accent sur l’instabilité propre aux marchés d’actifs, en l’occurrence le marché immobilier. Lorsque son prix augmente, loin de décourager les acheteurs comme ce serait le cas sur un marché de biens ordinaires, cette augmentation rend les logements encore plus attractifs. Il en est ainsi parce que le logement est aussi perçu comme un investissement. Or, quand son prix augmente, son rendement augmente, ce qui attire de nouveaux investisseurs en quête de profitabilité. Cette analyse pose cependant la question de la «myopie» des investisseurs qui semblent ne pas considérer la possibilité d’un retournement des prix. Ce qu’on appelle «l’aveuglement au désastre». Cette question est fondamentale.

Il s’agit de montrer quelles forces cognitives et économiques pèsent sur la prise de décision des acteurs. Il faut repousser l’hypothèse d’irrationalité. Dans le cas étudié, on souligne le rôle structurant qu’a joué le fait que le marché états-unien n’a jamais connu de baisse générale du prix de l’immobilier depuis la grande crise.

   On montre qu’en conséquence, un grand nombre d’acteurs n’ont pas cru à une baisse généralisée des prix, au premier rang desquels Alan Greenspan au faîte de sa gloire et de son influence. S’ils se sont trompés, leur argumentaire ne manquait pas de force de conviction. Si l’hypothèse d’instabilité de la finance de marché suffit à rendre intelligible la logique générale que suit la crise, elle ne permet pas d’en saisir l’ampleur qui assurément est hors normes et demande à être analysée en tant que telle. C’est la question du contexte financier spécifique qui doit alors être abordée, tout particulièrement l’impact de la titrisation. Avec celle-ci, le crédit immobilier qui jusqu’alors restait enfermé dans les comptes des banques s’est transformé en un titre financier comme les autres. Du fait de l’interconnexion généralisée des marchés, les produits structurés émis par l’immobilier états-unien se sont diffusés à l’ensemble du monde financier. C’est, en conséquence, l’ensemble de la planète qui a réagi au choc des supprimes en août 2007. Symétriquement à la période d’euphorie, le déclin des prix financiers provoqué par ce choc déclenche une spirale baissière via la déflation des bilans. Bien que les prix chutent, personne ne se déclare prêt à acheter. Les grandes institutions financières et bancaires luttent pour leur survie à travers des ventes de détresse afin d’obtenir les liquidités dont elles ont impérativement besoin. Par ce mécanisme, la crise se propage sans cesse à de nouvelles classes d’actifs.

Conclusion: l’instabilité de la finance de marché

   Ce livre n’avait pas pour finalité de proposer un nouveau récit de la crise financière. Il en existe déjà de nombreux et fort bien faits. Notre but était autre: penser la crise, en expliciter les processus. Selon nous, ce qui est en cause dans toute la séquence des événements auxquels nous avons assisté, que ce soit l’euphorie, les krachs, l’assèchement de la liquidité ou la longue dépression des prix, c’est le rôle pervers de la concurrence financière, son incapacité à produire les contre-forces qui feraient en sorte que les déséquilibres soient combattus à temps1. Ce que nous avons appelé l’instabilité de la finance de marché. Encore aujourd’hui, alors même que tous les prix sont incroyablement bas, aucun investisseur ne se fait connaître pour acheter. Voilà qui dément clairement l’hypothèse d’efficience. Pour être plus précis, il existe bien un investisseur qui achète, et même à tour de bras, mais cet investisseur, ce sont les pouvoirs publics, et s’ils achètent, cela tient précisément à ce que leur motivation échappe à la logique financière. Autrement dit, le recours est venu de l’extérieur du système financier. Celui-ci ne connaît pas d’autorégulation. Ce cadre théorique permet de rendre intelligible notre paradoxe initial, à savoir la disproportion entre le choc initial d’ampleur limitée et l’immensité des pertes engendrées. Nous pouvons illustrer notre raisonnement en prenant comme exemple les attentats du 11 septembre 2001. Considérés uniquement sous l’angle économique, les attentats ont eu un très faible impact. Pourtant leur effet macréconomique final a bien été significatif en raison des réactions à l’événement. L’amplification est venue des réactions à l’attentat. Par exemple, la seule interdiction des vols aériens au-dessus du territoire des Etats-Unis a causé des perturbations économiques sans commune mesure avec les dégâts matériels initiaux. Imaginons que se soit 1. Il faut dire « à temps » car, sur la longue échéance, on assiste bien à un retour à la moyenne, par exemple la bulle immobilière a fini par s’arrêter, mais bien trop tard. propagée une vague de défiance conduisant chaque citoyen états-unien à diminuer ses activités. Cela aurait engendré une baisse encore plus importante de la production. Autrement dit, la corrélation généralisée des réactions individuelles au choc initial nous donne l’exemple d’un processus dont les effets sont hors de proportion avec la cause originelle. C’est suivant ce modèle que nous analysons la crise financière. Si, d’ordinaire, les analystes écartent cette explication, c’est parce qu’ils considèrent que le système économique diffère des systèmes sociaux en raison de son autorégulation concurrentielle et des contre-forces qu’elle produirait automatiquement. C’est précisément ce point que nous contestons. Ces contre-forces n’existent pas ou insuffisamment.

L’évolution financière depuis novembre 2006 jusqu’à aujourd’hui se lit comme un processus de diffusion de la défiance et d’autoentretien de celle-ci, voire d’autoréalisation.

   Le système financier n’a dû sa survie qu’à l’intervention musclée des autorités publiques, intervention rendue possible parce que ces autorités ont des finalités propres qui ne sont pas, justement, d’ordre financier. Le diagnostic que nous faisons reste aujourd’hui controversé. Pour de nombreux analystes, la crise trouve sa source dans l’opacité des produits structurés. Nous n’y croyons pas. Certes cette opacité a joué un rôle mais toutes les crises ont leur innovation. L’aveuglement qui les accompagne ne vient pas tant de leur complexité intrinsèque que du fait que les acteurs financiers n’ont aucune incitation à aller y regarder de plus près. On peut réglementer les innovations, accroître la transparence, cela ne changera rien car c’est le mécanisme concurrentiel qui incite les investisseurs à l’aveuglement. Des titres absolument transparents peuvent tout aussi bien produire des bulles spéculatives. L’exemple de la bulle Internet illustre cette proposition. Lors de cet épisode, on a connu un emballement des cours boursiers sans qu’aucune opacité soit présente. Les investisseurs achetaient des titres d’entreprises hautement déficitaires en pleine connaissance de cause parce que ces déficits étaient interprétés par les marchés comme la preuve de leur dynamisme. De même des titres supprime parfaitement transparents auraient pu faire l’objet d’une bulle haussière.

la chute du marché immobilier américain

Sources:

http://www.pse.ens.fr/orlean/depot/publi/opus16.pdf

http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89conomie_des_conventions

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