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  • 17/9/2007
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Poésie(2)

Les grandes orientations de la poésie

 

Pierre de Ronsard

 

 

   La définition de genres poétiques a toujours été discutée en débattant de critères formels ou de critères de contenu (d'objet) et, par ailleurs, la poésie moderne en faisant éclater les genres traditionnels (poésie lyrique, épique, engagée, spirituelle, narrative, descriptive...) et en devenant une expression totalisante et libre rend encore plus difficile la catégorisation.

   Cependant, sans s'enfermer trop dans la terminologie formaliste, on peut observer des dominantes clés dans l'expression poétique (Roman Jakobson définissant la dominante comme l'élément focal d'une oeuvre d'art qui gouverne, détermine et transforme les autres éléments. L'opposition la plus simple se fait entre une orientation vers la forme (orientation esthétique ) et une orientation vers le contenu (orientation sémantique ), évidemment sans exclusion de l'autre puisque d'une part il y a sens dès qu'il y a mots et que, d'autre part, il y a une expression formelle sans cela il n'y aurait pas l'écriture poétique. Cette dernière orientation multiple et complexe est parfois dite aussi ontologique (comme par Olivier Salzar2), parce que renvoyant au sens de l'être considéré simultanément en tant qu'être général, abstrait, essentiel et en tant qu'être singulier, concret, existentiel (TCF). Son champ très vaste peut à son tour être subdivisé en trois dominantes (définies par le modèle du signe présenté par Karl Bühler : Le signe fonctionne en tant que tel par ses relations avec l’émetteur, le récepteur et le référent .

  Ces trois dominantes, là encore non exclusives, sont la dominante expressive ou émotive ou lyrique, au sens étroit, tournée vers le moi du poète, la dominante conative , orientée vers le destinataire que le poète veut atteindre en touchant sa conscience et sa sensibilité comme dans la poésie morale et engagée, et la fonction référentielle , tournée vers un objet extérieur, vers le chant du monde dans des perceptions sensibles, affectives ou culturelles comme dans la célébration ou la poésie épique où le poète rend sensible la démesure des mythes.

 

Mais ce découpage n'est qu'un éclairage : la poésie, plus que tout autre genre littéraire, pâtit de ces approches des doctes alors qu'elle est d'abord la rencontre entre celui qui, par ses mots, dit lui-même et son monde, et celui qui reçoit et partage ce dévoilement. En témoigne par exemple une oeuvre inclassable comme Les Chants de Maldoror de Lautréamont.

 

Le poète artiste

 

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Paul Valéry

 

   Le souci de la forme est bien sûr constant chez les poètes et des règles prosodiques s'élaborent peu à peu aux XVIe et XVIIe siècles (compte du e muet - diérèse/synérèse – césure – pureté des rimes...).

 

Cette importance accordée au travail poétique passe par les grands rhétoriqueurs de la fin du XVe siècle puis la Pléiade et les classiques ( Beauté, mon beau souci dira François Malherbe), avant de réapparaître au XIXe siècle en réaction aux effusions et aux facilités de la poésie romantique.
 

   Les théoriciens et les praticiens de l'art pour l'art, partageant la conviction que l'art vit de contraintes et meurt de liberté , comme le dira au siècle suivant Paul Valéry, défendront les règles traditionnelles (vers syllabique – rimes - poèmes à forme fixe comme le sonnet) avec Théophile Gautier ou les Parnassiens comme Théodore de Banville, Leconte de Lisle ou José-Maria de Hérédia. Cette conception esthétique ira même avec Mallarmé jusqu'à un certain hermétisme en cherchant à donner un sens plus pur aux mots de la tribu et à relever des défis formels (comme le sonnet en -ixe/-yx de Mallarmé – les Calligrammes d'Apollinaire...) que systématiseront au milieu du XXe siècle les jeux de l'Oulipo et de Raymond Queneau (Cent mille milliards de poèmes), Georges Perec ou Jacques Roubaud.

   On peut également, au delà du paradoxe apparent, rattacher à ce courant poétique qui met l'accent sur la forme, les démarches d'Henri Michaux dont Le Grand Combat (Qui je fus ?, 1927) est écrit dans une langue inventée faite de suggestion sonore, ou encore les expérimentations lettristes d'Isidore Isou. Les impasses de cette poésie coupée de l'âme et parfois très rhétorique seront régulièrement combattues au nom de la souplesse et de la force de la suggestion, par exemple par Verlaine et les poètes symbolistes ou décadentistes de la fin du XIXe siècle, qui revendiqueront une approche moins corsetée de la poésie. Cette conception d'un art libéré des contraintes l'emportera largement au XXe siècle où la poésie deviendra une expression totalisante, au delà des questions de forme.

 

Le poète lyrique

 

   Si le mot poétique a dans son acception quotidienne le sens d'harmonieux et de sentimental, c'est à l'importance de la poésie lyrique qu'il le doit. Celle-ci, orientée vers le moi du poète, doit son nom à la lyre qui, dans l’Antiquité, accompagnait les chants qu'on ne distinguait pas alors de la poésie mais ne doit pas à se limiter à la petite musique personnelle du poète chantant un des thèmes traditionnels et a priori poétiques comme l'amour, la mort, la solitude, l'angoisse existentielle, la nature ou la rêverie. En effet la poésie a su faire entrer la modernité dans le champ poétique y compris dans ses aspects les plus surprenants ou les plus prosaïques ( Une charogne chez Baudelaire, la ville industrielle chez Verhaeren et le quotidien trivial chez Verlaine dans ces vers de Cythère, dans Les fêtes galantes, l'Amour comblant tout, hormis / La faim, sorbets et confitures / Nous préservent des courbatures ...). En fait la variété des voix est extrême, avec cependant des courants dominants selon les époques, comme le romantisme et le symbolisme au XIXe siècle ou le surréalisme au XXe.

 

Les formes évoluent elles aussi passant par exemple du long poème romantique ( A Villequier de Victor Hugo ou les Nuits d'Alfred de Musset) au sonnet régulier de Baudelaire puis aux formes libres des symbolistes et à l'expression jaillissante de l'inconscient avec les Surréalistes avant la spontanéité de l'expression orale de Jacques Prévert dans Paroles par exemple.
 

   La poésie lyrique est pour le poète le canal '"expression privilégiée de sa sensibilité et de sa subjectivité que symbolise le Pélican (Nuit de mai) d'Alfred de Musset. Mais cette poésie va au-delà de la confidence pour exprimer l'humaine condition et Hugo proclame dans la Préface des Contemplations : Quand je parle de moi, je vous parle de vous ! . Ce chant de l'âme , domaine privilégié du je , auquel adhère cependant le destinataire, s'oppose donc à la poésie descriptive et objective voir rhétorique des Parnassiens ou à la Poésie narrative des romans du Moyen Age et au genre épique qui traite de thèmes héroïques et mythiques avec rythme et couleur ou encore à la poésie d'idées (Lucrèce - Ovide – Voltaire) pour laquelle la forme poétique n'est pas le souci premier.

 

Le poète découvreur du monde

 

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Rimbaud

 

   L'art de la poésie est aussi traditionnellement associé au don de poésie , c'est à dire à une fonction quasi divine du poète inspiré, en relation avec les Muses et le sacré, à qui revient le rôle de décodeur de l'invisible. C'est la conception de l'Antiquité représentée par Platon qui fait dire à Socrate (dans Ion) à propos des poètes : « Ils parlent en effet, non en vertu d'un art, mais d'une puissance divine . Au XVIe siècle, la Pléiade reprendra cette perspective et Ronsard écrira ces vers dans son Hymne de l'Automne : M'inspirant dedans l'âme un don de poësie,/ Que Dieu n'a concédé qu'à l'esprit agité/ Des poignants aiguillons de sa Divinité./ Quand l'homme en est touché, il devient un prophète ) et c'est dans cette lignée que s'inscriront les poètes romantiques et après eux Baudelaire et les poètes symbolistes.

 

Cette fonction particulière du poète trouvera un partisan exemplaire avec Arthur Rimbaud qui dans sa fameuse lettre à Paul Demeny demande au Poète de se faire voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens et d"être vraiment voleur de feu , et de trouver du nouveau, - idées et formes , en évoquant ailleurs l'alchimie du verbe qui doit être l'instrument du poète-découvreur.
 

   Après la Première guerre mondiale et après Apollinaire, défenseur lui aussi de L'esprit nouveau, les surréalistes, héritiers de cet enthousiasme rimbaldien, confieront à l'image poétique le soin de dépasser le réel et d'ouvrir des champs magnétiques novateurs mettant au jour l'inconscient, ce que formulera Louis Aragon dans Le Paysan de Paris en parlant de l'emploi déréglé et passionnel du stupéfiant image.

   Dans les années 50-70, revenant sur cette systématisation de l'image, les poètes s'orienteront davantage vers une poésie-célébration, un chant du monde orphique ou vers une poésie lyrique, chant de l'âme qui fait entendre la voix personnelle des poètes comme celle de Jules Supervielle, René Char ou Yves Bonnefoy.

 

Conclusion

   Le terme poésie recouvre des aspects très différents puisque celle-ci c'est dégagée d'une forme versifiée facilement identifiable et même du poème, et il est sans doute plus commode de parler d'expression poétique. Néanmoins la spécificité du texte poétique demeure à travers sa densité qui exploite à la fois le son et le sens ; il est d'ailleurs difficile de traduire un poème dans une autre langue : faut-il se préoccuper d'abord du sens ou faut-il chercher à inventer des équivalences sonores et rythmiques ?

 

 

poésie(2)

Verlaine et Rimbaud

 

   Mais la question est posée de savoir si le rejet des procédés traditionnels du vers et de la rime n'a pas affaiblie l'expression poétique : celle-ci est certes largement pratiquée comme en témoignent les blogs d'aujourd'hui, mais sa diffusion en librairie est bien rare pour les nouveaux poètes. Ils s'expriment d'ailleurs peut-être davantage avec le soutien de la musique dans le genre plus incertain de la poésie-chanson .

   En effet, à travers la Poésie, l'essentiel demeure la prise de conscience du pouvoir des mots et de la beauté de la langue, à commencer par une langue dite et écoutée. Pour l'amateur de poésie, au commencement est le Verbe et sa puissance créatrice qui nourrit la mémoire et transforme la nuit en lumière, comme le fait dire Jean-Luc Godard à son héros qui vient lutter contre un monde déshumanisé dirigé par un ordinateur dans Alphaville .

 

Article relatif au sujet :

 Poésie(1)

 

Source: fr.wikipedia.org 

 

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