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  • 11/10/2008
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Ontologie chez Mullã Sadrã (1)

ontologie existentielle

Sommaire

1.Connaître l’existence

 2. Principauté de l’existence (isalat al-wujud)

 

1.Connaître l’existence

   Le terme "wujud" équivaut à "Etre" ou "Existence" en français et s’oppose au concept de néant. L’existence externe est concrète et s’identifie avec la réalisation des choses et des individus dans le monde extérieur. Quand on pose une question sur la réalité d’une chose, la réponse reçue concernera la quiddité. Une définition d’un arbre décrit sa quiddité. Toute chose extérieure possède donc deux parties: l’existence, en tant que chose présente et existant, et la quiddité, présentant des caractéristiques spécifiques qui le distinguent d’autres choses et données pour répondre à la question "de quoi s’agit-il?": cela s’appelle la quiddité. Même si toute chose a une quiddité et une existence, concernant sa réalisation extérieure, il s’agit d’une seule et même chose, pas d’une autre chose.

Par exemple, nous ne voyons qu’un arbre ou un homme, plutôt que l’existence d’un arbre, puis l’arbre lui-même, ou encore l’existence d’un homme puis l’homme lui-même. Cela tient du fait que toute chose extérieure, une chose réalisée et existant, n’est qu’une seule et même chose.

   La réalisation des choses se fait soit par leur quiddité, soit par leur existence, et seul l’un d’entre eux est principiel, le second n’étant que l’ombre du premier. L’intellect humain extrait le second du premier, qu’il s’agisse de l’existence ou de la quiddité d’une chose. Ce raisonnement, apparemment simple, est la réponse donnée par Mullã Sadrã à une difficulté philosophique qui s’est posée pendant des siècles. L’existence est la seule chose qui n’a pas besoin de démonstration, et que tout à chacun perçoit instinctivement dans son essence, ou en pratique, par l’expérience. Il n’y a rien de plus manifeste que l’existence et tout se réalise à travers l’existence. Les instincts de tout créature animée montrent que son existence la domine, ainsi que le monde qui l’entoure. Il n’y a pas de définition de l’existence et cela est seulement perçu au moyen de la connaissance intuitive et de sentiments personnels intérieurs. C’est la réalité même de l’existence qui a rempli le monde; parfois, nous percevons le concept d’existence seulement à l’esprit.

   Mais nous ne devons pas confondre le concept d’existence avec la réalité de l’existence extérieure, car leurs caractéristiques de chacun sont différentes et prêtent parfois à confusion.

Bien que l’existence puisse être considérée une chose, c’est elle qui, en définitive, donne existence aux choses et fait de toute chose une chose.

   Il y a une raison pour laquelle l’existence a été assimilée à de la lumière. Quand la lumière éclaire quelque chose, elle l’illumine et l’individualise, et la distingue d’entre les autres choses. L’existence, en elle-même, est une seule chose mais la quiddité  des choses dans le monde varie et se répartit en différents types. Les corps inanimés, les végétaux, les animaux et les humains sont tous différents les uns des autres. Chaque type possède des limites distinctives qui comprennent l’essence et la réalité des choses existantes.

mulla sadra

   En fait, tout "existant" a un moule spécifique, qui s’appelle quiddité en termes philosophiques. L’existence peut être vue depuis deux perspectives. D’un côté, nous abstrayons le concept d’existence de la présence d’objets, c’est-à-dire, les quiddités existantes dans le monde malgré les différences entre elles, en supposant que ces objets existent, ou peuvent posséder l’attribut   l’existence. En observant les objets ordinairement (plutôt que philosophiquement), nous considérons que la réalité des objets équivaut à leur quiddité plutôt qu’à leur existence.

Par conséquent, nous disons que nous avons inféré l’existence de ces objets à partir de leur présence objective. Si la quiddité équivalait à l’objectivité des objets réels, l’existence manquerait de réalité et deviendrait un phénomène mental.

   D’un autre côté, une inspection plus précise révèle que, à l’inverse, c’est la quiddité des objets qui est un phénomène mental, situé au niveau de l’esprit, abstrait de l’existence de l’existant extérieur.  La quiddité ne nécessite pas toujours l’existence et n’est pas concomitante à elle. La quiddité n’est pas concomitante à l’existence extérieure et à ses effets, car la vérité de toute chose a les effets de cette chose, et ces effets naissent avec l’existence de ces choses. Nombre de quiddités sont créées mentalement, sans avoir été réalisées. Mullã Sadrã affirme que la quiddité n’est pas en concomitance permanente avec l’existence, si bien qu’on ne peut la considérer comme la raison latente à l’existence d’un existant extérieur. Cependant, nous voyons que l’existence de réalités extérieures subsiste par elle-même et ne nécessite pas une autre existence pour son existentialité ou sa réalisation. Cela est dû au fait que l’existence est une caractéristique essentielle (dhati) plutôt qu’accidentelle. En d’autres termes, l’existence existe par elle-même et non à travers autre chose qu’elle. Au contraire, ce sont les quiddités qui nécessitent d’être réalisées.

En fait, l’existence n’est pas un accident pour la quiddité. C’est plutôt la quiddité qui, tel un moule mental, un ustensile linguistique et conventionnel, habille l’existent externe réalisé. 

 2. Principauté de l’existence (isalat al-wujud)

   Mullã Sadrã apporte plusieurs arguments au principe de l’existence. Pour une chose, prouver un accident ou l’attribution d’un attribut à  un sujet, ou un jugement,  il y a toujours unité existentielle entre sujet et prédicat. Le sujet et le prédicat sont deux concepts différents. Ce qui permet la prédication ou le jugement est cette unité dans l’existence.

Le caractère principielle (isala) découle de l’existence. Maintenant, si nous considérons la quiddité des objets, plutôt que leur existence, comme étant principiel, en tant que réalité de leur essence (car les quiddités diffèrent entre elles dans l’existence et l’essence), la prédication du prédicat au sujet devient impossible.

   Nous ne pouvons plus dire que l’arbre est vert, car la quiddité de l’arbre est essentiellement différente de la quiddité "vert". Si le verbe "exister" (qui manifeste l’existence externe) n’apparaît pas entre les deux, ces concepts ne seront jamais unis l’un à l’autre, et aucune prédication, ni unité ne serait jamais réalisée dans l’univers.  Mullã Sadrã maintient que si la réalisation de toute chose est liée à son existence, l’existence, en soi, précède la réalisation à l’extérieur. L’existence est plus atteignable que d’autres choses. Par exemple, si nous croyons que l’existence de l’eau justifie le fait qu’elle soit humide, la démonstration de l’humidité de l’eau est la plus nécessaire, et l’eau en elle-même préexiste à l’humidité, car elle est plus proche d’elle que toute autre chose. A la base, l’affirmation de l’existence pour l’existence ne requiert aucune preuve, car l’existence est fondamentale pour l’existence, de la même façon que l’humidité est essentielle pour l’eau.

    Mullã Sadrã illustre cette argumentation en se référant à l’observation dans le cas d’objets blancs, et dit que quand vous identifiez un morceau de papier, qui n’est pas identique avec la blancheur mais s’applique à lui, et dites que cela est blanc, la blancheur elle-même survient antérieurement au papier possédant la blancheur.

En voyant le problème de la quiddité et de l’existence sous un autre angle, Mulla Sadra avance que parfois, on assure la quiddité sans existence.

   En d’autres termes, la quiddité n’est pas toujours concomitante avec sa réalisation dans le monde objectif; cependant, l’existence est principielle et nécessaire pour la réalisation de choses et d’existants. Et c’est notre esprit qui déduit la quiddité à partir l’existence externe et le positionne: "les individuations sont des choses mentalement posées".

  Le problème de la principauté de l’existence a une longue histoire. Une étude des idées "ishraqi" (illuminationniste), issues des philosophies de l’ancien Iran et des philosophes pré aristotéliciens révèlent que ce principe est connu comme une théorie brute dans le passé, considérant l’existence comme principielle (isala) et ayant une réalité extérieure.

heidegger

    A ce moment, il n’y avait pas le terme de quiddité, mais ceux d’objet ou de matière. La démonstration philosophique de la principauté de l’existence a créé une révolution philosophique. De plus, à la lumière de ce principe, nombre de problèmes se trouvent résolus. La philosophie péripatéticienne avait placé le champ philosophique sur un chemin pervers en garantissant la centralité de l’existant à la place de l’existence, de la même façon que l’astronomie ptoléméenne, basé sur la centralité de la terre, avait crée des difficultés pour l’astronomie. La signifiance du rôle central de l’existence à la place de l’existant est la même chose que Heidegger découvrit quatre siècles après Mollã Sadrã. Il appuya sa philosophie sur cette idée sans lui faire atteindre sa forme complète. Dans les deux derniers siècles, certaines écoles de pensée se catégorisèrent sous le titre d’ "existentialisme".

 Il est nécessaire de souligner que le mot existence dans de telles écoles (à l’exception de la philosophie heideggérienne) est complètement différent de "wujud" et la "principauté de wujud" dans la philosophie islamique. La philosophie européenne ne s’intéresse qu’à l’existence de l’individu plutôt qu’à l’existence de tout l’univers.

   Ces écoles philosophiques, malgré leurs importantes différences, partagent des caractéristiques entre elles. Selon les existentialistes, l’existence est antérieure à la quiddité; cependant, ils entendent par existence la même existence conventionnelle que tout le monde a en tête. En plus, concernant la "postériorité de la quiddité", ils signifient que l’être humain, suite à son libre-arbitre, de tout temps pendant sa vie, donne une forme à cette quiddité et produit lui-même une quiddité individuelle, qui ne prend sa forme ultime qu’avec sa mort. Conformément, il devient clair que la quiddité qu’ils ont à l’esprit n’est pas identique avec la quiddité philosophique de Mullã Sadrã; ils se réfèrent plutôt à la personnalité humaine. Les réactions humaines aux dilemmes de la vie, ses anxiétés, peurs, soucis et douleurs démontrent son existence et forment sa personnalité. Heidegger ne cherche pas à connaître l’existence; plutôt, il cherche un problème ambigu qui diffère de l’existence appréhendée par la gnose islamique.

Source: Mullasadra.org

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