Les fondements idéologiques des mystiques: l’unicité de l’existence (2)
Unicité de l’existence ou Wahdat Al-Wujud
Le principe de l’unicité de l’existence constitue le pivot de l’idéologie mystique et pourtant, il a fait l’objet de bien des incompréhensions et des malentendus.
Première explication de l’unicité de l’existence
La multiplicité de l’existence (Kathrat Al-Wujud) revient à dire qu’il existe des réalités séparées, telles l’homme, l’animal, l’ange, le djinn…Dieu. En d’autres termes, ces réalités renvoient à une différentiation essentielle (Tabayun bi Al-Dhãt) mais en les comparant, on trouvera que certaines sont plus grandes que d’autres, comme le ruisseau et la mer. Bien sûr, on peut établir une relation entre deux choses limitées, mais cela est impossible quand l’une des deux choses est illimitée. Quant il fut demandé à un Imam infaillible: «l’expression «Dieu est le plus grand» signifie t-elle que Dieu est plus grand que toute autre chose?» L’Imam de répondre: «non, cela est inexact, cette expression signifie que Dieu est si grand que l’on ne peut le décrire»
الله أكبر من أن يوصف
C’est-à-dire que Dieu est comparable à nulle autre chose. Ou plutôt Il est une chose, le reste n’est rien. On citera le poème de Saadi dans son Boustan (jardin):
La voie de la raison n’est rien d’autre que courbe sur courbe,
Pour les mystiques, excepté Dieu, il n’y a rien
راه عقل جز پیچ بر پیچ نیست
بر عارفان جز خدا هیچ نیست
On peut dire cela avec les connaisseurs de vérité,
Mais les logiciens objecteront alors,
Que sont donc le ciel et la terre,
L’humanité, Satan et le fauve qui sont-ils?
ولی خرده کیرند اهل قیاس توان گفتن این با حقایق شناس
که پس آسمان و زمین چیستند بنی آدم و دیو و دد کیستند
Saadi répond alors:
Quoi qu’elles soient, elles sont moins que Lui,
Dont l’Existence assure qu’elles prétendent exister
همه هر چه هستند از آن کمترند که با هستی اش نام هستی برند
Cette catégorie d’unicité d’existence ne soulève aucune opposition.
Seconde explication de l’unicité de l’existence
Il ne s’agit plus ici de dire que l’existence se limite à l’Etre suprême mais que toutes les choses existent à partir d’une vérité, qui est la vérité de l’existence; mais la vérité de l’existence comporte des niveaux, un niveau obligatoire et un niveau possible, un niveau d’indépendance et plusieurs niveaux de pauvreté, donc la vérité de l’existence est une vérité unique. Ici l’unicité de l’existence ne limite pas l’existence à l’Etre vrai, mais la vérité est l’existence d’une vérité unique, dont un niveau correspond à la perfection et à l’autosuffisance. C’est ce qu’explique Hãjji Sabzevãri dans Sharh Al-Munzuma:
الفهلويون الوجود عندهم حقيقة ذات تشكك تعم
مراتب غنى و فقرا تختلف كالنور حيث ما تقوى و ضعف
Troisième explication de l’unicité de l’existence
La troisième explication prétend que l’unique est unique de tout point de vue et une réalité simple, dénuée de toute sorte de multiplicité, et c’est Dieu. En dehors de cette vérité, il n’y a pas d’existence, mais seulement une apparence. De la même façon que le miroir reflète une apparence, pas une existence. C’est ici l’origine d’une divergence intense entre philosophes et mystiques. Mulla Sadra a ainsi déclaré que Dieu est l’être de la vérité simple (Dhãt basit Al-Haqiqa), c’est toutes les choses, tout en n’étant aucune d’elles.
بسيط الحقيقة كل الأشياء و ليس بشيء منها
On retrouve une expression similaire dans la Voie de l’Eloquence de l’Imam ’Ali paix sur lui:
ليس في الأشياء بوالج و لا منها بخارج (خطبه 184)
«Il ne pénètre pas les choses, ni ne s’en extirpe » (discours 184)
Ainsi, le monde est une apparence, car il est existence sous forme d’apparence pour une autre existence. Nous avons ce vers de Hãfiz:
روشن از پرتو رویت نظری نیست که نیست
منت خاک درت بر بصری نیست که نیست
Cela signifie que nul ne regarde quoi que ce soit, sans qu’il te regarde en fait. Il existe à l’appui de ce vers un hadith de l’Imam Al-Sãdiq paix sur lui:
« je n’ai rien vu sans voir Dieu avant, après et en cette chose»
قال الصادق عليه السلام: ما رأيت شيئا و رأيت الله قبله و بعده و معه
Source: Librement inspiré de Mortadhã Mutahari, La mystique de Hãfiz (irfan-e Hãfiz), Téhéran: Editions Fajr, 2005, pp.91-97