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  • 15/11/2008
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Crise financière (14): réforme du système monétaire international

Par Jacques Sapir le 24 octobre 2008

   Tebyan vous propose un développement concernant la réforme du système monétaire international, extrait d’une synthèse fort intéressante de la crise du système de croissance néo-libéral, par l’économiste franco-russe Jacques Sapir, professeur à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS). L’article original, dont nous recommandons vivement la lecture, est intitulé: "Le monde qui vient : Réflexions sur les conséquences de la crise et les tendances économiques à venir "

l’économiste franco-russe jacques sapir

Vers un nouveau Bretton Woods ?

   L’ampleur de la crise actuelle, comme ses conséquences prévisibles, soulève naturellement la question de la réforme du système monétaire et financier international.

   Ce thème commence à apparaître dans le discours politique où l’on en appelle à un « nouveau Bretton Woods ». Une telle problématique a été portée par des dirigeants politiques de bords opposés en France (de Mme Ségolène Royal au Président Sarkozy, en passant par Lionel Jospin), mais aussi en Italie et en Russie et dans bien d’autres pays. Même aux Etats-Unis des voix se font entendre appelant à la refondation du système monétaire et financier mondial. Penser la refonte du système monétaire et financier mondial est nécessaire, mais il s’agit d’une tâche de longue haleine qui ne saurait être accomplie dans la précipitation.

   L’existence d’un système monétaire et financier mondial est étroitement liée au développement des échanges économiques et financiers internationaux. Les accords de troc (compensation bilatérale) s’ils permettent un certain niveau d’échanges limitent considérablement leur développement et ne permettent pas aux flux d’investissement de se développer entre les pays. Un système monétaire mondial doit donc assurer un certain niveau de prévisibilité des prix, un niveau de liquidité compatible avec le rythme de développement de l’économie mondiale, et un niveau de garantie pour les opérations de change entre les monnaies. Tels sont les priorités qu’il faut respecter pour entamer de manière fructueuse un processus de reconstruction du système monétaire et financier mondial. Il en découlent plusieurs principes.

A. Un monde multipolaire interdit l’émergence d’une nouvelle « Devise-Clé » à l’échelle mondiale.

   Il est donc irréaliste de penser ou d’espérer qu’une autre monnaie prendra le rôle du Dollar. La complexité de l’économie mondiale rendrait par ailleurs suicidaire le retour à l’étalon Or ou à n’importe quel métal.

   Le choix actuel est donc soit de tenter de maintenir un système mondial, mais qui ne pourra être construit que sur une monnaie « neutre » qui pourrait être un « panier » de différentes monnaies, soit de prendre acte d’une fragmentation du système avec émergences de blocs régionaux structurés autour de monnaies de réserve régionales, et tenter de coordonner ensuite ces ensembles régionaux.

   La première hypothèse est celle qui garantirait au mieux les intérêts de tous. Elle implique cependant un accord global et la construction rapide d’une nouvelle institution financière mondiale, la Banque Centrale des Nations Unies et la dissolution du FMI. Il est probable que ceci ne soit pas réaliste avant de nombreuses années.

   La seconde hypothèse verra l’émergence de Banques Centrales régionales, dans le cadre de regroupements géopolitiques (Amérique du Nord, Amérique du Sud, Europe Occidentale, Eurasie, Asie du Sud-Est, Océanie). Dans certains cas, ces Banques Centrales régionales pourraient être le résultat d’un accord entre pays donnant naissance à une monnaie régionale unique (comme dans la zone Euro). Cependant, ce système implique des mécanismes de transfert budgétaires entre pays membres de l’accord. Faute d’un tel mécanisme, la survie d’une zone monétaire commune est délicate (ce qui est la situation actuelle de la Zone Euro). Une autre solution possible est celle où la Banque Centrale régionale sera de fait celle du pays régionalement dominant. Une situation intermédiaire peut enfin être celle d’une coopération entre Banques Centrales de pays ayant des tailles économiques et financières comparables.

   Il faut noter que des zones importantes risquent de ne pas pouvoir être intégrées (Afrique, Moyen-Orient) ou devront se rattacher à d’autres zones existantes. Dans le cas d’une fragmentation du système monétaire mondial, nous pourrions voir émerger 5 à 7 monnaies de réserve régionales. La charte du FMI devrait être changée pour faire de cette organisation le gérant de la coordination entre les zones, avec un conseil des directeurs représentatif du poids économique et démographique de chaque zone. Les missions de banque de développement (Banque Mondiale) et de gestion des déséquilibres de change (mission d’origine du FMI) seraient alors dévolues à des institutions régionales.

le dinar (pièce d’or) datant du califat abbaside d’al-mu’tasim (833-842)
B. Mettre fin à vingt années de déréglementation et de libéralisation des mouvements financiers.

   Quelle que soit la solution vers laquelle on s’orientera en matière d’instrument de réserve, les flux financiers internationaux devront être sévèrement réglementés. En effet, les phénomènes actuels de spéculation généralisée qu’engendre la déréglementation de la finance rendent impossible le respect des contraintes en termes de prévisibilité des prix mondiaux, d’alimentation en liquidité et de garantie sur les opérations de change. Il n’est pas possible de penser un système monétaire mondial qui garantisse le respect des trois contraintes évoquées plus haut si le système financier mondial continue d’être un espace de pure spéculation.

C. Assurer la transition vers un nouvel ordre monétaire et financier mondial

   Si l’objectif ultime de toute proposition de réforme est bien de proposer un système complet et cohérent susceptible de fonder un ordre mondial monétaire et financier, la nature et la gravité de la crise actuelle rendent indispensables des propositions de réforme immédiate pour pouvoir limiter les effets de la crise et préparer le passage ultérieur à un système reconstruit. En un sens, il ne peut y avoir aujourd’hui de proposition de refonte globale du système qui ne réponde aussi aux problèmes immédiats. Une proposition de réforme globale doit s’accompagner pour être crédible de propositions transitoires capables de maîtriser les effets les plus destructeurs de la crise que nous vivons.

   Les deux principaux problèmes posés par la crise sont aujourd’hui la pénurie de liquidités entre les banques (le credit-crunch) et les mouvements spéculatifs induits par les Hedge-Funds et en général les institutions spéculatives. Ces deux problèmes impliquent la prise de mesures transitoires à relativement court terme.

   Un changement immédiat du statut du FMI. La fonction de ce dernier devrait être la concertation entre les Banques Centrales pour l’émission des liquidités nécessaires au niveau mondial. Ceci implique que le FMI modifie au plus vite les règles de représentation des pays pour que ces derniers soient représentés au prorata de leur contribution au PIB mondial et à la population mondiale. Un directoire exécutif comprenant les Etats-Unis, la Zone Euro, la Russie, la Chine, l’Inde, un représentant des pays du Moyen-Orient, un représentant des pays d’Amérique Latine devrait être immédiatement constitué. Ce directoire devrait gérer les allocations de liquidité à court et moyen terme à travers une « Caisse Centrale » opérant à la fois sur le Dollar, l’Euro et le Yen.

   L’introduction, ne serait-ce qu’à titre temporaire, de restrictions dans les mouvements financiers internationaux à court et très court terme, de manière à limiter les risques de contagion.

   Le monde qui va sortir de cette crise sera très différent de celui que l’on a connu de 1980 à aujourd’hui. Non seulement les rapports des forces sont en train de changer et ceci dans l’ensemble des domaines, du militaire à l’économie, mais les représentations elles-mêmes vont se modifier. Cette crise est celle de l’idéologie néo-libérale. Les contraintes économiques qui vont découler de l’effondrement de l’économie de la dette mise en place dans les économies occidentales et portée à son paroxysme aux Etats-Unis et dans les « clones » européens du modèle américain entraîneront le retour de dynamiques inflationnistes importantes. Elles conduiront les Etats à reprendre le contrôle de leur politique monétaire et de leur politique de change. Nous assisterons dans les années qui viennent au retour de l’Etat comme acteur économique majeur (ce qu’il n’avait pas cessé d’être en réalité en Chine et en Russie), à la fin de l’indépendance des banques centrales et au retour de politiques de change plus ou moins pilotées en fonction des logiques de développement. Ceci ne sera d’ailleurs possible qu’à travers la mise en place de formes de contrôle sur les flux de capitaux limitant l’impact des mouvements de marché et de la spéculation sur les taux de change.

   Dans cette révision fondamentale des conceptions, des politiques et des instruments que nous allons connaître, la question de la survie dans leur forme actuelle des institutions européennes sera rapidement posée.

Source: http://www.arhv.lhivic.org/index.php/2008/10/25/850-le-monde-qui-vient

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