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  • 20/5/2010
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Au pays des animaux muets (2)

le musée de la nature sauvage

   Article d’Afsãneh Pourmazãheri et de Farzãneh Pourmazãheri publié dans la Revue de Téhéran en octobre 2006.

   Nous entrons ensuite dans une huitième salle, située dans un bâtiment extérieur. On y rencontre différentes sortes de papillons, d’élégants insectes, fins et colorés. Après la salle des papillons, on découvre l’aile des carnassiers où l’on peut observer le léopard iranien, le lion et le léopard africains, soigneusement protégés par les barreaux de leurs cages respectives.

   Au dessus de la porte d’entrée d’un autre bâtiment, un petit panneau indique "Atelier de Taxidermie [1]". A peine ouvre-t-on la porte qu’une odeur étrange nous parvient. A l’intérieur, un homme d’une soixantaine d’années, vêtu d’une blouse blanche, est en train d’empailler un petit animal.

monsieur le docteur hedayat tajbakhsh

   Monsieur le Docteur Hedãyat Tãjbakhsh est le fondateur du Musée de La Nature Sauvage et le précurseur de la taxidermie en Iran. Né en 1940 dans une famille férue de chasse et appartenant à la noblesse Qãjãre, il reste fasciné par la chasse. "Je n’ai ouvert les yeux qu’au milieu des animaux comme le cheval et le faucon", nous dit-il. Son frère et lui accompagnaient leur père à la chasse. Peu à peu, ils ont décidé de trouver le moyen de préserver le cadavre des animaux chassés. En ce temps là, la pratique de la taxidermie n’avait pas encore cours en Iran.

"On amenait les oiseaux que l’on chassait sur le toit, on leur plaçait des briques sous les ailes, et on les exposait au soleil. La seule chose que l’on obtenait, c’était des vers qui descendaient les escaliers, une odeur dégoûtante, et pour finir, les punitions de ma mère!".

   En 1954, encore adolescent, il livrait des spécimens d’animaux à l’Université de Téhéran. Ce fut là qu’il découvrit pour la première fois l’art de la taxidermie. En 1960, il collabora avec le fameux Club de Chasse fondé par de véritables passionnés de cette discipline. Ensuite, il partit pour Chicago avec un corps enseignant américain venu en Iran pour réaliser des recherches sur des spécimens animaliers de la chaîne de montagnes Zagros. En 1968, il obtint la maîtrise de l’Université de Chicago et de l’Institut International "Jones Brothers" [2].

le musée de la nature sauvage

   En 1987, il soutient avec succès son doctorat en histologie des animaux sauvages à l’Université de Monterrey au Mexique. Il rentre à Téhéran en 1991. Le docteur Tãjbakhsh a consacré toute sa vie à sa passion. L’encyclopédie de la chasse "Nakhjirãn" - disponible à la bibliothèque du musée - est le fruit de toutes ces années de labeur. Il a par ailleurs rédigé plus de trente essais scientifiques et obtenu 122 médailles dont 78 en or. Il a également parcouru une trentaine de pays en vue de compléter les collections iraniennes. Actuellement, environ 50% des animaux empaillés du musée font partie de sa collection personnelle.

   A propos de la taxidermie, il nous explique que: "Cela consiste en l’art de décorer les peaux. Les animaux deviennent éternels mais ne marchent pas, ne mangent pas et ne volent pas. Avec leur regard figé, ces animaux sont des modèles morts de spécimens vivants". Dans l’ancienne Egypte, on pratiquait cet art sur les cadavres des pharaons pour les embaumer, en vue de leur résurrection future.

Ailleurs, en Afrique, chaque animal était considéré comme le symbole d’un événement social particulier.

   Source d’inspiration pour la population, ils étaient empaillés à cet effet et adorés par ces derniers. Depuis le siècle des Lumières, la taxidermie a constitué un moyen, pour les chasseurs, d’honorer leurs propres victoires dans le face à face entre l’homme et la bête.

le musée de la nature sauvage

   La méthode de la taxidermie moderne a été inventée pour la première fois en Hollande au XVIIe siècle. Comme nous l’explique Tãjbakhsh: " Dans cette méthode scientifique, on n’empaille plus la peau mais on utilise des matières chimiques comme la fibre de verre et l’acrylique. Après avoir procédé au moulage de l’animal, on le couvre avec sa propre peau soigneusement tannée. "Aujourd’hui le rhinocéros exhibé dans le Musée de Zoologie à Florence en Italie constitue le modèle le plus ancien empaillé selon cette méthode.

Selon lui: "La taxidermie voisine avec l’art, la science, la peinture, la sculpture, la décoration et le design d’une part, et avec l’anatomie, la zoologie, la biologie, la chimie, la physiologie et l’écologie, d’ autre part. En recourant à toutes ces disciplines, on parvient à recréer un animal. L’intérêt de la taxidermie n’est plus à prouver. Des animaux empaillés dans un musée sont comme des livres sélectionnés dans une bibliothèque: on peut ainsi s’en servir plusieurs fois pour des recherches scientifiques. Cependant, la principale utilité de ce travail est la préservation de la nature sauvage en empêchant la chasse irrégulière et en encourageant les chasseurs à chasser méthodiquement".

   Au sortir de l’atelier, l’air frais se substitue à l’odeur de résine et de formaldéhyde. En nous éloignant du musée, nous avons le curieux sentiment d’entendre le rugissement du lion africain qui se prolonge depuis sa cage jusqu’à l’allée. Il vient alors à l’esprit que, peut-être à ce moment précis, d’autres lions rugissent avec frénésie au milieu de jungles luxuriantes; que des milliers oiseaux battent des ailes dans le ciel infini; que des millions de poissons évoluent et continueront d’évoluer dans le bleu marin des océans; et que la vie continue…

Notes:

 [1] Taxidermie: art d’empailler les animaux vertébrés.

[2] Jones Brothers: le plus grand et le plus célèbre institut de taxidermie du monde.

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