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  • 23/11/2010
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De quel mal guérir la France? (2)

christian fouchet

« La maladie de 1815 » A. Peyrefitte

   Dans un entretien de 1965 avec son ministre Alain Peyrefitte (1925-1999) que celui-ci a restitué dans son livre intitulé Le Mal français, De Gaulle s’exprime ainsi: «Les Français sont atteints d’un mal profond. Ils ne veulent pas comprendre que l’époque exige d’eux un effort gigantesque d’adaptation. Ils s’arc-boutent tant qu’ils peuvent pour faire obstacle au changement qui les entraîne... Un régime totalitaire peut faire comme si les hommes ne sont pas ce qu’ils sont; une démocratie, ça demande qu’on s’occupe d’eux.» Cette dernière phrase est un écho de la proposition de Spinoza sur l’art politique qui traite les hommes non comme ils doivent être, mais comme ils sont.

Ce mal français a été ainsi résumé par l’historien monarchiste et combien germanophobe Jacques Bainville dans un livre édité en 1915, «Histoire de Deux peuples»

   On peut parler d’une auscultation de la France. La date de 1815 est celle du Traité de Vienne ramenant la tranquillité publique dans une Europe contaminée par les idées révolutionnaires françaises: les débats du pays trouvaient leur solution provisoire, violente, mais fatale dans une exaltation des libertés intérieures au pays, mai surtout extérieures ou européennes. Comme aujourd’hui, si nous reprenons un propos de De Gaulle cité par le même ministre, les français attendaient tout de l’Etat, le détestant en même temps au fond d’eux-mêmes, parce qu’il serait la contrainte de leur impatience, et ne s’unissaient à lui qu’en «cas de péril extrême». En fait l’Etat demeure toujours disputé, et convoité pour pallier au manque d’un patriotisme plus serein, du type de celui que Jean-Jacques Rousseau connaissait dans sa société genevoise. Cette convoitise du pouvoir sera nommée le « régime des partis», qui imite l’alternance anglaise, en méconnaissant le bien commun, le Commonwealth.

   La maladie de 1815 serait une révolte utopique constante, une sorte de Mai 68 chronique contre l’ordre européen, du genre de ce que nous constatons dans les récriminations au nom de grands principes contre des disciplines raisonnables et malheureusement non discutées ou raisonnées par tous les partis politiques, occupés seulement de succession réciproque.

Il y a là une forme d’autisme qui permet de mieux apprécier pourquoi le Président Sarkozy se fait tancer d’importance devant les juges bruxellois.

   Du moins le philosophe de Genève l’eût compris, d’après ces lignes: «La France est un royaume si vaste, que les français se sont mis dans l’esprit que le genre humain ne devait point avoir d’autres lois que les leurs… et il est à remarquer que, dans tout ce grand royaume où sont tant d’universités, tant de collèges, tant d’académies, et où l’on enseigne avec tant d’importance tant d’inutilités, il n’y a pas une seule chaire de droit naturel. C’est le seul peuple de l’Europe qui ait regardé cette étude comme n’étant bonne à rien.»

«C’est cela le drame français» De Gaulle

   L’esprit de parti se séduit lui-même; en France plus qu’ailleurs où le donjuanisme politique est l’idéologie exactement décrite par le Général De Gaulle. Aimer aimer est une chose, aimer c’est se perdre pour les uns, créer pour d’autres, ce dernier ayant la discrétion qui est la pudeur inconnue au libertaire:

«Aujourd’hui, tout type qui, pendant la guerre, a vu un jour, aux cabinets, un tract trouvé par hasard, affirme qu’il a été résistant et il en est convaincu lui-même. Et cela a été toujours comme ça.» confie le Général à son fidèle ministre de l’intérieur Christian Fouchet (1911-1974) dans la soirée du 28 mai 1968, après le déferlement de ce qui serait aujourd’hui nommé «révolution de couleur».

   Et en effet, qui pourrait contredire De Gaulle, car plus nombreux furent les engagés de la collaboration militaire adverse, mais ceci est une autre histoire inutile aux bacheliers. De Gaulle fait appel à une sociologie de la France, car il s’agit d’une maladie psycho-sociale, tout comme on parle d’une réaction psycho-physiologique, psychosomatique, et nous la livrons telle: «Mitterrand et Mendès» 1: «Oh, ils tiendraient le coup pendant quelques temps grâce aux milliards que nous avons préservés. Mais si cela devait se terminer ainsi, le Pays connaîtrait de lourds malheurs... Le drame, c’est ce que sont les structures qui lâchent. Pendant des siècles tout marcha parce que la France était composée de paysans dirigés par l’Eglise. Mais peu à peu tout a lâché.» En français appliqué, son ministre venu de la bourgeoisie de Saint-Germain en Laye représente à De Gaulle le mythe gaulliste débuté à l’éclatement du Second Conflit mondial, en évoquant «quand même quelques grandes choses depuis 1940» et l’expert philosophe de répondre en donnant le mot juste: «

Oui, certes, mais à chaque fois je me heurte à la veulerie pitoyable que vous savez. Après moi, ce sera l’heure des «politichiens», des arrangeurs. Voyez-vous, c’est cela le drame français. Nous serions le pays le plus fort du monde, sans ces lâchages brutaux, sans cette indifférence au fond à ce qu’on appelle la Nation. Cette fois, c’est fini. Il me raccompagne à la porte. Bonne nuit, Fouchet » 2

Notes:

(1) Pour Mendès- France (1907-1982), de lignée portugaise, puis bordelaise en liaison avec le commerce des Antilles, qui au stade Charlety, la veille de cet entretien entre De Gaulle et Fouchet, ce 27 mai, venait, avec Mitterrand, de poser sa candidature au pouvoir. Cf. son partisan, maître Georges Kiejman in http://www.civismemoria.fr/contribu...

(2) «Les Lauriers sont coupés», Paris, Plon,1973, tome 2, 254pp., pp.26-27

Source: Geopolintel.fr

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