J'ai ouï dire qu'un roi avait plusieurs enfants, tous remarquables par leur beauté et par leur taille à l'exception d'un seul, qui était petit et mal venu. Un jour le père ne put s'empêcher de le regarder avec un air de regret. Instinctivement, le jeune prince s'en aperçut et lui dit: «Un petit homme bien instruit vaut mieux qu'un géant sans cervelle. Ce n'est pas par la taille, mais par la valeur qu'il faut juger des choses. Car, pure est la brebis, et l'éléphant, charogne!
»Le Thour est, on le sait la moindre des montagnes. Celle du plus haut rang près de Dieu, c'est le Thour!
» Connais-tu cette histoire? Un sage efflanqué dit un jour à un gras ignorant: "L'étalon arabe est mince, mais il vaut toute une écurie pleine d'ânes!"»
A ces paroles, le roi sourit, et ses courtisans l'approuvèrent, tandis qu'une irritation s'allumait dans le cœur des jeunes princes.
Tant qu'un homme ne parle pas, vertus et tares sont secrètes.
Le petit bois, tu le crois vide? Une panthère y est tapie.
Le roi fut attaqué peu après par un puissant ennemi, et les deux armées se trouvèrent bientôt en présence. Le jeune et petit prince poussa le premier son cheval au combat.
«Ô mon père, dit-il,
Tu ne verras jamais mon dos dans le combat,
Je serai comme un chef dans le sang, la poussière,
Au jour de la bataille un homme joue son sang
Et celui qui s'enfuit perd le sang du soldat.»
Ainsi parla-t-il, et il fondit sur l'armée ennemie. Il terrassa les plus braves et lorsqu'il revint devant son père, il baisa la terre en signe d'hommage et lui dit:
«Ô toi, qui as jugé ma personne débile
Garde-toi de ne voir qu'en la taille la force
A la course, un cheval fringant est plus utile
que le bœuf gras.»
On rapporte que l'armée de l'ennemi était considérable et que les soldats du roi se trouvaient moins nombreux. Comme ils commençaient à plier, le jeune prince, poussant un cri, leur dit: «Hommes, si vous êtes vraiment des hommes, faites face. Sinon, vous n'aurez droit qu'à la robe des femmes!» A ces mots, l'audace des cavaliers fut ranimée, et ils chargèrent. Et ce jour-là, m'a-t-on dit, ils l'emportèrent.
Lorsque le prince se présenta devant son père, celui-ci le baisa sur la tête et les yeux, le prit dans ses bras, et le considéra chaque jour davantage, au point qu'il en fit son héritier présomptif. Les frères du jeune prince en furent jaloux et ils complotèrent pour l'empoisonner. D'une chambre haute, sa sœur surprit la machination. Elle fit claquer les persiennes de la fenêtre pour avertir le jeune homme qui comprit cet avertissement, grâce à sa pénétration; il retira sa main du mets empoisonné et dit: «Il serait absurde que meurent des hommes de mérite et que des gens sans vertu prissent leur place.»
Personne ne viendra dans l'ombre du hibou
Même si le phénix disparaissait du monde.
On informa le roi de cette affaire. Il manda les frères du jeune prince, et les châtia comme il fallait. Ensuite, il assigna à chacun une portion de ses Etats, de sorte que la discorde se calma et que l’inimitié disparut. On a dit: «Dix pauvres dorment enroulés dans un grossier tapis; dans un même pays, deux rois ne tiennent pas!»
Si le sage mange un pain, il donne une moitié aux pauvres
Si le roi conquiert un pays, il veut en conquérir un autre.