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  • 1/8/2009
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Loi antivoile du 15 mars 2004: une interdiction reposant sur un procès d’intention (3)

   Cela étant, il nous reste à nous accorder sur la définition et le sens à donner au qualificatif «ostensible» et à le distinguer de notions connexes, l’ostentation et la visibilité D’emblée précisons qu’il n’est nulle part fait mention d’un signe ou d’une tenue qui serait illicite en soi.

De manière claire, le droit n’interdit aucun vêtement, il ne fait qu’en interdire le port c’est-à-dire en fin de compte un comportement objectivé.

   Ceci étant, il n’en demeure pas moins que la différence peut paraître ténue, voire insignifiante. Il n’en est rien. Puisque le rattachement qu’utilise la loi pour fonder sa ratio legis est le critère du port de la tenue, l’interprétation qui sera faite devra nécessairement être opérée in concreto i.e. au regard des circonstances et des faits de l’espèce. Inévitablement, l’application de la loi conduira alors à une casuistique à double degré: dans un premier temps, les chefs d’établissements devront dire (l’importance des faits dûment établis se fait ici cruellement sentir) si tel vêtement est porté ouvertement et spécifiquement pour des motifs religieux, caractérisant de la sorte l’ «ostensibilité», avant que le juge administratif n’en fasse de même.

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   L’on peut en conclure avec certitude qu’il n’est pas juridiquement possible de fonder des mesures disciplinaires sur la moindre présomption du caractère ostensible d’une tenue, fut-elle simple en admettant la preuve contraire. Ainsi par exemple, le fait qu’une élève portait un foulard qualifié d’islamique l’année précédente ne nous paraît pas être de nature à prouver à lui seul que le signe ou la tenue nouvellement arboré, ne présentant pas en soi les caractéristiques visées par la loi, soit une tenue ostensible de manifestation religieuse. De même, on ne saurait admettre l’argument selon lequel le fait qu’un ou une élève soit de confession musulmane pour qu’automatiquement, le port de tout signe qui, par pure conjecture, amènerait à penser qu’il pourrait s’agir d’un foulard islamique lui soit prohibé. En d’autres termes, la confession d’un élève ne nous dit rien de sa volonté de la manifester, et a fortiori de la manifester «ostensiblement».

   Dans une perspective contraire, le port d’une tenue portée communément par les élèves (style bandana) serait de facto interdit aux élèves qui sont où que l’on estime de confession musulmane. Cette application de la loi, manifestement abusive, devra alors être contestée devant le juge administratif. Qui plus est, faisons remarquer qu’elle contreviendrait directement au principe d’égalité entre usagers du service public en partitionnant l’application de la loi et en soumettant son interprétation au pouvoir quasi-discrétionnaire, source d’arbitraire, des chefs d’établissements. Ainsi, la loi n’interdit que les signes religieux ostensibles et autorise les signes religieux simplement visibles et d’autres encore qualifiés de discrets. Dans un souci de clarté, les rédacteurs de la circulaire ont entendu fournir une liste non exhaustive d’exemples: « tels que le voile islamique, quel que soit le nom qu’on lui donne, la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive ». Cette typologie est clairement superfétatoire et surajoute à une confusion générale que l’on pressent déjà. Quid du voile islamique? Qu’a entendu le législateur par un tel qualificatif? Fait-il référence à tous les fichus portés par des musulmans, ou à un vêtement en particulier relevant de l’islam, qui pourrait même être porté par des non-musulmans? Est-ce la confession de l’élève qui fait d’un voile, un voile islamique? Et de quel ornement est-il question? S’agit-il d’un simple fichu couvrant les cheveux mais laissant voir les oreilles et le cou, d’un bonnet qui ne couvre que les cheveux et les oreilles, d’un bandana, d’un foulard s’étendant à tout le corps, de la tête aux pieds?

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   Force est de constater qu’en l’état cette fausse précision aura pour traduction concrète la prohibition de toute extériorisation des convictions religieuses des élèves musulmans. A l’évidence, il eut été plus judicieux de faire figurer les photographies des tenues dont le port serait interdit. Cela n’a pas été le cas, et une fois encore il appartiendra aux requérants qui contesteront les mesures disciplinaires prises à leur encontre sur cette base d’en soulever l’illégalité. Le signe religieux visible, et a fortiori discret (que l’on peut dissimuler au regard d’autrui, à la différence du premier), se distingue du signe religieux ostensible en ce qu’il ne traduit pas une volonté d’être vu, distingué, revendiqué. Dans l’esprit tout comme dans la lettre, on peut le remarquer, le constater, en prendre acte mais cela ne suffit pas à qualifier son port d’ostensible. Pour fonder une exclusion, il sera nécessaire de rapporter un double preuve (rappelons que c’est l’administration qui supporte cette charge): tout d’abord celle de la réalité du port d’une tenue à connotation religieuse dans l’enceinte scolaire pendant le temps de la scolarisation ainsi que, et cette exigence est cumulative, celle relative à la volonté de l’élève de manifester à travers ce port l’expression de sa religion ou d’ailleurs d’une religion en général (rien en effet n’exige que la religion manifestée soit celle de l’élève).

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   On l’aura compris, il demeure que le critère principal, indispensable pour qualifier un port d’ostensible est l’intention de l’élève. Or, tout comme d’autres matières où la volonté joue un rôle analogue, il conviendra de cerner les difficultés, pratiques et théoriques, auxquelles l’on peut s’attendre. Mettons peut-être dès à présent en évidence l’incohérence de l’interdiction en cause et l’impasse juridique à laquelle aboutit le raisonnement qu’elle induit. En effet, sauf à verser dans le sondage de conscience, comment faire pour déterminer la cause profonde et réelle (c’est-à-dire non apparente) du port de telle ou telle tenue si ce n’est en interrogeant l’élève (ce qui semble d’ailleurs être la vocation de la phase de dialogue mise en place). Mais ainsi que le faisaient remarquer MM. Tawil et Garay: «Est-il admissible, au regard de la laïcité de l’Etat et de la non-discrimination fondée sur un motif religieux qui en découle, qu’un fonctionnaire demande à un élève s’il est, ou non, musulman et que de la réponse à cette question dépende une sanction disciplinaire?»

   Force est en tout cas de constater que le mouvement qui part de l’interdiction dès 1989 du port ostentatoire de signes religieux, entendus comme constitutifs d’une réelle pression pour autrui ou pour l’établissement, et qui en arrive aujourd’hui à celle des tenues ostensibles, portées uniquement pour être remarquées, est marqué du sceau de la sévérité.

Fondamentalement, on n’incrimine plus l’ingérence d’une conviction religieuse dans la sphère de liberté du voisin mais, par un entier renversement de perspectives, la simple volonté de se donner à voir.

   En son temps, l’ostentation comme limite de l’expression des convictions religieuses avait ceci de logique: elle faisait supporter les conséquences de l’interdiction à la charge de l’individu prosélyte, coupable d’avoir porté atteinte à la liberté des autres en abusant de la sienne. Avec la loi du 15 mars 2004, cette cohérence ne vaut plus: désormais, l’élève se verra amputé d’un pan entier de l’expression de sa foi au seul motif que le groupe ne l’envisage plus que sous le seul prisme de sa croyance religieuse par quelque moyen qu’elle s’exprime. En quelque sorte, à la tyrannie d’une personne l’on a substitué la dictature du groupe.

Sources:

Islamophobie.net

Wikipedia.org

http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/034000725/0000.pdf

Article Relatif:

La Loi antivoile du 15 mars 2004: aux sources confuses de l’interdiction: ostentation ou appartenance? (2)

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